Hors-Série : Enseigner en restant soi.

Lancement: mars 2022
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Dans ce quatorzième épisode hors-série, Vocation : enseignant, retrouvez Emilie, professeure de français, qui met en avant sa manière innovante d’enseigner auprès de ses élèves de collège.

Présenté par Pascale Joly, déléguée pédagogique Hachette Education
Langue : français (France)
Fréquence : un épisode tous les deux mois

Envie de découvrir comment enseigner avec authenticité, tout en restant vous-même ? Comment trouver du plaisir à enseigner ? Comment se ressourcer auprès de ses élèves et s'épanouir dans ce métier ?

Bienvenue dans Vocation : enseignant, un podcast inédit qui met à l'honneur des enseignants passionnés et créatifs. 
Dans cet épisode, nous rencontrons Émilie, enseignante de français en collège à Bordeaux. Elle casse les codes de l'enseignement classique avec des pratiques inspirantes et non académiques.

Écoutez-la partager ses méthodes, ses idées et sa vision d'une éducation où les élèves et les enseignants s'épanouissent ensemble. Plongeons dans son univers à travers la chanson qu'elle a choisie pour introduire ce podcast.

Ce quatorzième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.

PASCAL JOLY : Bonjour Émilie.

Emilie : Bonjour Pascale.

 

PJ : Alors tu as choisi pour introduire ce podcast une très belle chanson de Georges Brassens, Mourir pour ses idées. Pourquoi as-tu choisi cette chanson ?

E : Parce que personnellement, Mourir pour ses idées c'est beaucoup plus saisissant et quand je la présente aux élèves au début, les cinquièmes me regardent en se demandant s'il y a un problème chez moi, si j'ai des idées noires. Après ils se disent : mais mourir de mort lente c'est agoniser, donc ils s'inquiètent et finalement quand je leur explique que non, c'est tout le contraire, c'est une invitation à vivre. Là ça passe effectivement beaucoup mieux et c'est une chanson que j'aime bien partager avec eux.

 

PJ : Tu enseignes depuis 9 ans maintenant. Tu es enseignante de français en collège. Tu as une pratique de l'enseignement qui est propre à toi-même, très innovante. Est-ce que tu peux nous en parler un petit peu ?

E : J'aime laisser beaucoup de place à l'oral dans ma classe. Ça veut dire déjà que je veux reformuler les œuvres qu'on étudie en classe. Si je vais donner un extrait, comme je leur dis, je vais vous “pitcher” une œuvre, et je leur raconte en très grossier tout le roman pour justement avoir une réaction de leur part. Ça ressemble un peu à un sketch sur le coup et c'est là aussi où je vois que ça marche ou pas, ou qu'ils écoutent ou pas. Parce que je les vois rire ou qu'à la fin ils vont critiquer la morale d'une œuvre, parce que le XVIIe siècle ce ne sont pas tout à fait leurs valeurs à eux. Ou encore, ils vont me proposer une fin alternative, une belle fin pour le coup, qui leur convient mieux. Ce sont des moments que j'adore puisque ça prouve qu'ils s'approprient les œuvres. Des œuvres pour lesquelles ils pensent pourtant ne pas avoir d'atome crochu, ne pas comprendre, partager les valeurs ou les problématiques. Donc ce sont des moments que j'adore en classe.

 

PJ : Quel est le profil de tes collégiens ? Tu dirais qu'ils sont comment les collégiens d'aujourd'hui ?

E : C'est très cliché mais ils sont très hétérogènes. J'ai des collégiens qui ont énormément de culture générale quand ils arrivent dans ma classe, au point où ça leur arrive régulièrement de m'apprendre des petits éléments que je ne connaissais pas. D'autres qui sont encore dans une lecture décodage, avec beaucoup de lacunes du primaire et une rédaction compliquée. Il faut essayer de réconcilier ces deux-là quand on a des activités, c'est un défi. C'est aussi un défi sur le plan technologique, puisqu'on a un énorme fossé entre ceux qui ont du matériel et ceux qui n'en ont pas, par les choix des parents.

 

PJ : Émilie, est-ce que tu peux nous dire si être enseignante c'était une vocation pour toi au départ ?

E : Pas du tout. J'ai eu un parcours scolaire compliqué. Je ne me sentais pas bonne élève, je ne me sentais pas douée pour l'école. J'étais très curieuse mais pas très travailleuse. Paradoxalement j'avais la réputation d'être une bonne élève auprès de mes camarades, si bien qu'ils me demandaient régulièrement de réexpliquer des notions et après ils avaient de meilleures notes que moi aux évaluations. C'est au lycée, quand j'étais en voie technologique, que j’ai découvert que j'étais une bonne élève et que j'avais des capacités scolaires, mais ça a été assez tard.

PJ : Qu'est-ce qui a fait que tu as découvert ça ?

E : Un type d'enseignement différent, plus pratico-pratique. Avec également des professeurs qui m'ont donné une méthode que je n'avais pas du tout. Après j'ai suivi avec des études en lettres classiques, parce que j'aimais déjà énormément la littérature et le sens des mots. Finalement, qu'est-ce que je pouvais faire après une licence de lettres ? Professeure !
Je n'étais vraiment pas sûre de moi, j'avais une image du métier qui était quand même très vieille, très stricte et je ne me sentais pas m'épanouir dedans mais il fallait bien faire quelque chose. Il m'a fallu quelques mois après mon entrée dans le métier, pour découvrir que je pouvais être moi en enseignant. Avec des projets loufoques, avec une gestion de classe un peu plus personnelle.

 

PJ : Qu'est-ce que tu appelles une gestion de classe un peu plus personnelle ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

E : Ça veut dire que ma plus grande fierté en classe, c’est que mes élèves sursautent quand je lève la voix. Ils n'ont tellement pas l'habitude que je lève la voix, que ça les saisit d'un coup. Pour le coup je l'utilise très peu parce que je fais beaucoup de gestion avec une petite note d'humour à leur rappeler leur comportement. Au final, c'est plus fluide que de s’arrêter, de gronder un élève tout ça. Non, je vais cadrer mais il y a quand même un espace de liberté en classe auquel je tiens énormément. Parce que faire des cours de français où il faut faire parler les élèves avec certains qui ont peur et qui ne parleront pas, ça ne marche pas. J'ai besoin d'avoir une certaine complicité avec mes classes.

 

PJ : Comment tu l'instaures cette complicité ? Est-ce que tu peux nous donner des exemples de projets ou d'activités que tu fais en classe pour instaurer cette complicité avec tes élèves et que ça fonctionne ?

E : Je pense que c’est plus que des activités, ça va être une façon d'enseigner. Je vais être très naturelle et quand je leur explique quelque chose, je théâtralise tellement qu'on est dans le sketch, donc ça les fait rire et ils m'emboîtent le pas à essayer d'imiter les histoires loufoques dans lesquelles je les embarque. A partir du moment où ils apprennent à me faire confiance pour recevoir leurs paroles, parfois ça déborde du cadre, à ce moment-là je signale que ça déborde, on revient dans le cadre et c'est une relation que j'aime penser plutôt apaisée.

PJ : Tu peux nous donner un exemple d'histoire loufoque ?

E : À la rentrée avec les cinquièmes on travaillait sur le super héros et je leur ai demandé pourquoi un super héros faisait ce qu'il faisait, pour les challenger sur leur définition super arrêtée et ouvrir la définition. Un de mes élèves m'a dit qu'un super héros faisait ce qu'il faisait pour la patrie. Alors je l'ai regardé, je me suis dit, oui quand même ça veut dire que si tu vois une maison en feu, tu vas te dire je vais y aller pour la France. C'est une blague qui est restée un peu longtemps dans cette classe ou même à un moment, quelques cours plus tard, on parlait toujours du héros et j'ai entendu un élève chuchoter : “Pour la France”. J'ai rebondi dessus en me disant, oui évidemment qu'il l'a fait pour la France. Ça peut-être comme ça des petits trucs entre nous où chaque classe a la petite blague qu'on s'est faite à un moment sur laquelle on construit un peu et qui leur permet aussi de s'ancrer parce qu'ils savent que c'est accepté en classe.

 

PJ : Est-ce que tu peux nous donner quelques activités innovantes que tu mets en place ? Par exemple pour l'étude de la langue qui est quand même particulièrement difficile à faire passer à des élèves de collège.

E : Pour l'étude de la langue ce que je fais c'est que je raconte des histoires aux élèves pour leur expliquer comment marche quelque chose, surtout pour nature et fonction on a toute une histoire dessus. Pourquoi je fais ça ? Parce que ce qui ne fait pas de sens, on ne le retient pas. Au collège j'étais nullissime pour donner les fonctions, c'était une catastrophe et ça m'est venu sur le tard donc quand je leur expliquais au début, je leur expliquais comme je l'avais appris, et quand j'ai commencé à leur expliquer comme moi je le comprenais avec des histoires souvent loufoques, parce qu'ils retiennent mieux les histoires loufoques, c'est là que ça a commencé à vraiment les marquer. Au point où l'année dernière il y avait une notion sur laquelle je n'avais pas d'histoire particulière, c'était pour trouver la fonction du pronom relatif dans la phrase. Ils m'ont réclamé une histoire. Je n'avais pas d'histoire et ils me disaient : “Mais si madame on peut en trouver une”. Donc, ceux qui avaient compris étaient en train de chercher une histoire, dans le fil de ce qu'on avait déjà tissé, pour expliquer ce que c'était un pronom relatif et j'ai dit : “oui c'est bon je l'ai”, et j’ai lancé l'histoire. J'ai vu que la moitié qui n'avait pas compris disait : “Oui, oui on l'a”. L'autre moitié disait : “On répète une autre fois et ça devrait être bon”. J'avais mes doutes, mais au contrôle je n'ai jamais eu d'aussi bonne note sur une notion comme ça, qui est réputée pour être du chinois pour certains élèves. Normalement on a 5 sur certains élèves et là, la note la plus basse était 12. Même moi je n'y croyais pas au début et puis finalement j'étais super contente.

PJ : Parce que tu as fait jouer leur imaginaire aussi

E : Oui c'est ça qu'ils retiennent finalement

 

PJ : Qu'est-ce que tu as le plus à cœur de transmettre à tes élèves ? Les valeurs ? Deux ou trois clés à leur transmettre pour leur vie future à ces collégiens ?

E : Ce que j'aimerais beaucoup c'est leur transmettre une part de moi. La part qui ne voit pas la rentabilité dans le travail qu'on fait.

PJ : Qu'est-ce que t'appelles la rentabilité ?

E : C'est à dire, par exemple, bosser à fond mais pour un contrôle, pour la note et ne voir pas au-delà de la note. Qu'aujourd'hui je ne suis plus notée par un inspecteur et j'aime toujours apprendre énormément de choses, j'aime créer énormément de choses et j'aimerais qu'ils aient ce rapport là aussi. Qu'ils se laissent l'occasion de se surprendre eux-mêmes et de remarquer qu'ils savent faire de super trucs. Même si, oui, parfois ils ne sont pas les meilleurs en orthographe. Il n'empêche que le contenu de ce qu'ils ont apporté est super intéressant et que ce serait bête de s'en priver.

PJ : Leur dire qu'ils aient confiance en eux finalement.

 

PJ :Pour conclure je t'avais demandé de choisir un livre, je sais que c'est compliqué d'en choisir un seul. Mais tu en as choisi un, est-ce que tu peux nous dire quel est ton choix et la raison pour laquelle tu as fait ce choix ?

E : J'ai choisi Oscar et la Dame Rose de Éric Emmanuel Schmitt, que j'ai découvert quand j'étais en quatrième, a une période où je ne lisais que les livres qu'on m'imposait de lire, et qui m'avait vraiment marquée pour l'intensité des émotions qu'un livre qui est du papier, si on relativise un peu, peut susciter. J'en ai pleuré de cette dernière page du livre. Encore aujourd'hui parfois je me demande si ce n'est pas un peu violent pour des quatrièmes. Mais ça a été une véritable révélation et autant, je ne me suis pas encore permise de le donner à mes quatrièmes, autant, aujourd'hui il me marque encore.

PJ : Donc tu vas le faire lire à tes quatrièmes ou pas ?

E : J'hésite encore. J'en ai certains qui sont un peu sensibles. On ne réalise pas quand on est élève, mais quand on devient prof et qu'on apprend ce que les élèves portent comme histoire, c'est quand même assez fou. Je me dis qu'à mon âge, je n'ai pas vécu autant de choses traumatisantes que certains de mes élèves et parfois j'avoue que j'essaye un peu de les protéger de ça.

 

PJ : Tu as choisi également une citation, voire deux citations. Est-ce que tu peux nous dire laquelle ou lesquelles ?

E : Alors d'abord celle d'Albert Einstein : “La logique vous mènera de A à B. L'imagination vous mènera partout.”. J'adore celle-là parce que je ne suis pas quelqu'un de très académique et il y a plein de choses que je fais sans suivre des méthodes mais qui fonctionnent. C’est quelque chose que je voudrais aussi transmettre à mes élèves, cette idée de, si vous ne savez pas faire de la façon traditionnelle, il y a plein d'autres façons à inventer et qui marcherons aussi bien.
Et la deuxième, c'est une citation latine : “On enseigne pour la vie et pas pour l'école”. Dans cette idée qu'il ne faut pas choisir, chercher, une rentabilité dans la connaissance, donc la note à tout prix.

 

PJ : Est-ce que tu as des choses à ajouter Émilie ? Et que tu voudrais peut-être transmettre aux enseignants, à tes collègues, d'une manière générale ?

E : Je voudrais leur conseiller quelque chose qui est un peu hypocrite, parce que ça m'a pris beaucoup de temps moi-même à l'appliquer. Mais c'est de se faire confiance pour être naturelle en classe dans leur posture. Je me rends compte aujourd'hui que c'est ce qui me faisait le plus peur, parce que quand on joue le prof, c'est le prof qui est attaqué quand il prend une réflexion. Quand on est à 95% soi, comme je le suis actuellement, on a l'impression que si on prend une réflexion, on le prend sur le soi, on ne le prend pas sur le professionnel. Mais aujourd'hui, j'ai l'impression que c'est vraiment ce qui me ressource. Autant être prof, c'est un sport extrême à part entière, c'est fatigant, c'est un temps émotionnellement, physiquement, intellectuellement aussi. Autant je me rends compte que je me ressource énormément auprès de mes élèves, qu'ils me donnent énormément de matière et je ne pense pas que ce serait possible si j'avais continué à jouer la professeure. Mais après, je ne doute pas que c'est très difficile en termes de légitimité. Moi, je suis une professeure qui n'a pas fait un bac littéraire pour faire français, qui a été une mauvaise élève pendant longtemps. J'arrive de la campagne, j'enseigne à Bordeaux. Donc trouver ma place, ça a été difficile, surtout parce que j'ai cru qu'il fallait que je remplisse un rôle et qu'en fait, ce rôle n'était pas du tout fait pour moi.

PJ : Ça t'a bloquée.

E : C'est ça, alors qu'aujourd'hui, avec tout mon côté non académique, j'ai beaucoup de collègues qui viennent me voir parfois quand ils sont bloqués, quand ils me demandent comment je ferais pour telle activité, comment j’évaluerais telle chose. Finalement, ça prouve quand même qu'il y a une légitimité dans ma démarche, aussi peu académique soit-elle.

PJ : Tu enseignes comme tu es.

E : C'est ça !

PJ : On terminera sur cette belle parole Je te remercie, Émilie d'avoir participé à ce podcast et bonne journée à toi

E : Merci à toi aussi.

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