L’héritage Bled : entretien avec Daniel Berlion, défenseur de l’orthographe

Lancement: mars 2022
À retrouver également sur les plateformes :
SpotifyDeezerApple

L’apprentissage de l’orthographe, jadis central dans le parcours scolaire, semble perdre peu à peu sa place dans les programmes éducatifs. Dans ce contexte, comment maintenir les exigences d’hier tout en répondant aux besoins des élèves d’aujourd’hui ? 

Présenté par Pascale Joly, déléguée pédagogique Hachette Education
Langue : français (France)
Fréquence : un épisode tous les deux mois

Monsieur Daniel Berlion pérennise depuis 1984 les célèbres manuels d'orthographe de la collection Bled chez Hachette. Il fut, durant 12 ans, instituteur, puis inspecteur en primaire, inspecteur d'académie et enfin vice-recteur. Il est aujourd'hui retraité de l'enseignement, mais pas de l'édition... Il a toujours été un fervent défenseur de la rigueur orthographique. Tout au long de sa carrière, il a constaté que les élèves n'étaient ni pires ni meilleurs, mais que le temps consacré à l'apprentissage de l'orthographe tendait à se réduire de décennie en décennie. Nous évoquerons son parcours, sa rencontre avec M. et Mme Bled et parlerons de cette formidable aventure éditoriale, ainsi que de ses multiples déclinaisons, jusqu'à la dernière édition pour le collège, qui vient de paraître. 

Ce treizième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming. 

 

Pascale Joly : Bonjour Monsieur Berlion. 

Daniel Berlion : Bonjour Pascale Joly. 

 

PJ : Alors, qu'est-ce qui vous anime, Daniel Berlion? Et est-ce que vous pouvez nous dire un peu quel est votre parcours ?

DB : Ce qui m'anime… ce n’est pas facile de se définir. Ce qui m'anime, je crois que c'est surtout la curiosité. Et c'est une qualité à cultiver. Si on n'est pas curieux dans la vie... Je suis partant pour toutes les aventures possibles. Chaque fois qu'on me propose un nouveau projet, je pars. On verra ! 

Mon parcours est tout simple. Je suis un enfant de la communale, comme on dit, un enfant du Bled – c'est le cas de dire. Sur les bancs de l'école, j'ai eu des Bled. Et puis, j'ai exercé pendant plusieurs années le métier d'instituteur. On ne disait pas, à ce moment-là, professeur des écoles, mais enfin, j'étais instituteur. Et puis parallèlement, je faisais du rugby, ça m'occupait bien. Donc j'ai arrêté les études, je n’ai pas poursuivi à l'université. Mais quand j'ai arrêté le rugby, j'ai repris des études à l'université, licence, maîtrise, DEA... Et là, il a fallu choisir un sujet de thèse. Et comme je suis toujours peut-être un petit peu provocateur, parmi tous les étudiants qui choisissaient des sujets de thèse très classiques, j’ai dit : « moi je voudrais étudier le phénomène Bled ». Tout le monde me regarde -aucun ne m'a demandé si ça venait de l'Algérie, et le professeur a accepté. Pourquoi pas ? J'étais pris à mon propre piège, parce que c'était un petit peu de la provocation. Parce qu'il faut vous dire que j'étais avec des étudiants plus jeunes, donc moi à l'époque j'avais 35 ans et eux ils avaient 20 ans, j'étais un petit peu le papy du DEA. C'était un petit peu pour les titiller, pour les amuser, que j'avais lancé ça. Pris à mon propre piège, eh bien j'ai dit allons-y...! 

Je n'avais pas tout à fait lancé cette idée à la légère, parce qu'entre-temps j'avais passé le concours d'inspecteur et j'avais pu constater que dans les classes le Bled était massivement utilisé. Alors que la hiérarchie, les professeurs d'école normale, les inspecteurs, les inspecteurs généraux, les linguistes, tout le monde disait que c'était un petit manuel de rien du tout. Pour certains, il fallait le mettre au feu, un autodafé de Bled, et je voulais élucider ce paradoxe entre des praticiens qui utilisaient le livre et la hiérarchie qui disait que le livre ne valait rien. Pourquoi était-il utilisé aussi massivement ? C'était donc ma problématique et bien sûr, la première chose à faire c'était de contacter les éditions Hachette. J'avais bien vu que les auteurs étaient Monsieur et Madame Bled, mais bon, je ne savais même pas s’ils étaient toujours vivants. À l'époque le directeur, monsieur Berthelot, m'a immédiatement répondu et m'a dit : c'est la première fois qu'un inspecteur s'intéresse au Bled. Donc j'étais une personne à cultiver, de son point de vue, bien sûr. On a beaucoup parlé, et je lui ai dit : « est-ce que vous pouvez me mettre en contact avec Monsieur et Madame Bled ? » « Mais bien sûr, je vais les interroger ». Monsieur et Madame Bled, très heureux que l'université s'intéresse à leur manuel, m'ont immédiatement accueilli. J'ai passé des heures d'entretien avec eux.  

 

PJ : Qui étaient-ils ce Monsieur et cette Madame Bled ?  

DB : Il ne faut jamais oublier Madame Bled, je vais vous dire pourquoi. C'étaient deux instituteurs. Monsieur Bled était plus âgé que Madame Bled. Monsieur Bled a fait l'école normale, Madame Bled aussi. Et puis, Monsieur Bled a été nommé dans la région parisienne, et dans cette école, Madame Bled y était également institutrice. Ils se sont connus comme ça, ils se sont mariés, et ils ont vécu ensemble jusqu'à la fin de leurs jours. C'étaient de très bons instituteurs. Un jour, Bernard Pivot les a appelés les hussards noirs de l'orthographe. 

PJ : Il avait toujours les bons mots ! 

DB : Au fil des années, ils avaient leur fiche de préparation. Et un jour, il y a un délégué Hachette – c'était avant la guerre, dans les années 38 – qui avait remarqué que Monsieur Bled faisait du bon travail. J'ai eu l'occasion de consulter ses bulletins d'inspection : c'était remarquable, les inspecteurs ne tarissaient pas d’éloges sur l'enseignement de Monsieur et Madame Bled. Et ce délégué leur a dit : avec vos fiches, vous devriez faire un petit manuel. Je vais vous mettre en contact avec le directeur – qui à l'époque était Monsieur Vaubourdolle. Monsieur Vaubourdolle leur a dit « Mettez-vous au travail » et ils ont travaillé pendant toute la guerre. Toutes les années de guerre – ils n’ont pas fait que ça, ils ont continué à faire la classe bien sûr – ils consacraient tous leurs loisirs à faire ce premier livre qui était pour le CE2 / Cours Moyen.  

Lorsqu'ils ont eu fini, ils sont allés voir Monsieur Vaubourdolle. Ils ont présenté le manuscrit : c'était de grandes pages A3 avec des dessins, et des renvois… Je crois que dans ma thèse, il y a des photocopies des originaux. C'était très bien fait, une écriture vraiment impeccable, manuscrite bien sûr. Et Monsieur Vaubourdolle, voyant ces pages, leur dit : « Pas possible. On ne peut pas aujourd'hui publier ça. Vous ne vous rendez pas compte, nous sommes en pénurie de papier. Nous ne pouvons absolument pas nous permettre d'éditer en A3. Donc vous allez me réduire tout ça au petit format. » 

Alors ils ont recommencé et finalement le livre est sorti tant bien que mal sur un papier un peu maïs, jaune. Je l’ai eu dans les mains... La première couverture était violette. Elle n'était pas bleue, elle était violette. C’était en 1946, au sortir de la guerre. C’étaient vraiment les moyens du bord. Le livre sort : 250 000 la première année, il faut tout de suite rééditer… ça a été un succès foudroyant. Oui (il vérifie ses notes), 240 000 la première année, 250 000 la deuxième année. Ensuite – bon, mes chiffres sont cumulés, mais c'était régulièrement au-dessus de 200 000. 

Monsieur Vaubourdolle leur demande alors de faire un deuxième manuel pour les autres classes. Ils l’ont fait et puis même succès, 200 000. Suivent les manuels pour le cours supérieur, les premières leçons. Donc ils avaient quatre manuels et ils tournaient à environ 800 000 exemplaires par an. 

 

PJ : Comment expliquez-vous ce succès ? 

DB : Ce succès, c'est tout simple. Pour commencer, pendant l'Occupation, le régime de Vichy a supprimé les écoles normales. Retenez bien ça : suppression des écoles normales et obligation d'avoir le baccalauréat pour enseigner. Avant, on rentrait à l'école normale avec le brevet supérieur. Donc les instituteurs, dont Monsieur Bled, n'avaient pas le baccalauréat, ils avaient simplement leur brevet supérieur. À l'époque, il suffisait d'avoir le brevet supérieur, on rentrait à l'école normale, puis on avait quatre ans de formation professionnelle. Vous comprenez ? C'est ça le problème. Les enseignants... alors il y avait les anciens bien sûr, comme Monsieur Bled qui continuait à enseigner, mais tous les nouveaux n’avaient pas de formation professionnelle.  

Et là-dessus : le baby-boom. Donc des classes pléthoriques. J'avais des classes de 40 à 48 élèves. Quand j'ai commencé ma carrière d'instituteur, en 66, j'avais 45 élèves ; 45 garçons, ce n'était pas mixte.  

Donc des enseignants, formation professionnelle sommaire, auxquels on demandait le baccalauréat : mais le baccalauréat, ça ne vous apprend pas à apprendre à lire aux enfants. Donc difficile, et résultat pour l'orthographe, ils se tournaient vers des exercices du Bled très simples. « Vous prenez le Bled page 38, numéro 242 », et il n'y avait aucun problème. On voyait même dans des classes, en titre, les élèves, au lieu de marquer orthographe, ils marquaient Bled le numéro et la page. Et hop, il y avait l'exercice en dessous. J'ai des photocopies là-dessus. Le succès a été foudroyant et ça a duré des années, tout marchait bien. La hiérarchie, tant bien que mal, ne disait rien : j'ai des enseignants qui m'ont dit que quand l'inspecteur arrivait, hop, ils cachaient le livre. En plus – petite parenthèse – c'était un excellent livre de punition : non seulement l’élève avait la punition mais en plus il faisait de l'orthographe. Mais ça, c'est un petit peu anecdotique. Pour ma thèse, j'ai interrogé de très nombreux enseignants, j'ai plein d'anecdotes là-dessus. Il y en a une qui m'a dit : vous savez, quand j'ai tout essayé en matière d'orthographe, c'est comme l'aspirine, je leur donne du Bled pour le mal de tête.  

Ainsi, tout allait bien. Et puis, dans les années 70-80, au moment où j'ai démarré ma thèse – moi j'ai démarré les travaux en 78, puis je l'ai soutenue en 83, donc dans ces années-là – ça a commencé, disons, à s’essouffler. Moi je ne le savais pas, parce que tous les chiffres de vente m'étaient donnés par Monsieur et Madame Bled, et non par Hachette puisque c'était confidentiel bien entendu. On sentait quand même qu'il y avait un désintérêt. Et puis la concurrence avait compris : sur le marché, il y avait des livres, des méthodes qui étaient sortis, j'avais recensé tout ça. Ça s'essoufflait un peu… alors ma thèse tombait à point pour les éditions Hachette. C’est ainsi que Monsieur Berthelot m'appelle pour que je vienne le voir. Et il m'a dit :  écoutez, le Bled, ça s'essouffle un peu. Il serait temps de le « toiletter », parce que le contenu n’avait pas changé depuis le premier exemplaire de 46. Vous savez, la télévision n'existait pas, les voitures, tout ça. Monsieur et Madame Bled s'étaient toujours refusés à ce qu'on touche à leur livre. Puisque ça marchait, il n'y avait pas de raison. Mais comme les chiffres de ventes commençaient à chuter, et que Monsieur Bled était, en bon normand, plutôt près de ses sous, ils ont accepté. Mais à ce moment-là, Monsieur Bled était aveugle, il avait une maladie dégénérative et donc il ne pouvait pas s'en charger. Monsieur Berthelot m’a demandé si j’accepterais de prendre le relais parce que monsieur Bled avait confiance en moi du fait de la thèse, et voilà comment mon aventure d'auteur a démarré. En tant qu'auteur du nouveau Bled.  

 

PJ : Et à partir de là, qu'est-ce qui s'est passé ?  

DB : C'est là que je me suis aperçu que c'étaient quand même des personnages formidables, Monsieur et Madame Bled. J'avais fait le travail en amont – Je les connaissais par cœur, bien entendu – J'avais repris et j'avais coché toutes les phrases à éliminer. Je vous donnerai quelques exemples tout à l'heure. Et Monsieur Bled venait chez Hachette. Et à l'époque, c'était Alphonse Chevrier qui pilotait ça. Et on se réunissait tous les jours, on allait manger et puis on revenait travailler. Je proposais des phrases, des modifications de phrases, et Monsieur Bled connaissait ses livres par cœur – il savait à quel endroit il avait mis telle phrase, c'était vraiment une mémoire extraordinaire. Madame Bled ne disait pas grand-chose, mais c'est elle qui pilotait le plus souvent. J'ai l'habitude de dire que dans les Bled, il y a 75% de Madame et 25% de Monsieur. Mais bon, c'est lui qui faisait l'homme. Ainsi on a fait ça pendant une semaine et ça a bien marché. Les ventes sont remontées, nouvelle maquette bien entendu, nouvelle couverture également : on est passé à la couverture blanche au lieu de la couverture bleue. C’est bien reparti. 

À l'époque, on commençait à sortir des consommables. Alors monsieur Berthelot me dit : il serait pas mal qu'on puisse faire des petits cahiers consommables Bled. Est-ce que ça vous dit ? J'ai donc fait des petits cahiers. J'ai commencé par le CE2. Ces petits cahiers, même chose, un démarrage foudroyant, les premières années, on sort le CM1, CM2, CE1. Et puis, je dis à Alphonse Chevrier qui pilotait, on va faire un CP. Lui me répond : Daniel, ça ne va pas, de l'orthographe au CP, alors qu’ils apprennent à lire ? J'ai eu un CP dans ma carrière : en février, il y a une bonne moitié de la classe qui sait lire. Il faut les occuper jusqu'à la fin de l'année parce qu'il faut continuer à apprendre à lire à l'autre moitié. Qu'est-ce qu'on fait avec ces élèves-là ? Pareil, succès, on en vendait plus au CP qu'au CM2. Vous imaginez ? 

Et puis comme ça a bien marché, eh bien un jour, on m'a dit : on va faire du Parascolaire. Des 50 règles d'or, des cahiers de soutien, des dictées... Il y a eu énormément de déclinaisons. On l'a décliné sous toutes ces formes. Ça a été l'explosion. 

 

PJ : Et au total, aujourd'hui, on a vendu combien d'exemplaires ? 

DB : Du Bled sous toutes ses formes et avec ses déclinaisons ? Alors, en comptant les exemplaires Bled et les miens, je crois qu'on est à 35 millions d'exemplaires. À l'époque de ma thèse, on était à 20 millions, et depuis, ça doit être 15 millions. 

 

PJ : En 2024, une nouvelle édition du Bled fait son arrivée. Pourquoi cette nouvelle édition, Monsieur Berlion ? 

DB: C'est une nouvelle édition parce qu'il faut coller à l'univers des enfants. La société rurale de Monsieur et Madame Bled, elle a perduré jusqu'aux années 70. Mais à partir de mai 68, vous savez bien ce qui s'est passé. En 80 c'était fini, c'était ringard comme on dit. Et puis après en 83, le premier MAC, je crois que c'est 81 ou 82, à peu près. Donc vous voyez l'évolution qu'il peut y avoir. C’est pour cela que périodiquement on actualise les exercices. On tient compte des avancées que la linguistique peut nous apporter. Monsieur et Madame Bled ne connaissaient pas l'alphabet phonétique international. Les règles de grammaire étaient relativement sommaires. Enfin, quand je dis relativement sommaires, ce n'est pas péjoratif. C'était très pratique, mais il n'y avait pas de substrat grammatical solide. Les enseignants et les inspecteurs réclament aujourd'hui de coller plus précisément au programme tel que ça se faisait à l'époque. Et puis, c'était surtout au niveau du vocabulaire. 

 

PJ : En guise de conclusion, est-ce que vous pourriez nous conseiller un livre qui vous a plu parmi tous ceux que vous avez lu ? 

DB : Lorsque j’étais relativement jeune, je ne sais plus, 13 ans par-là, j’ai lu Le Comte de Monte Cristo. Ça m'a passionné et je le relis. C'est ma maman qui avait ça dans sa bibliothèque. Ma maman voulait devenir institutrice à l'époque et puis les choses étant ce qu'elles étaient, elle était devenue secrétaire tout simplement. Enfin, ce n'est pas péjoratif. D'ailleurs, je vais vous raconter une petite anecdote : j'ai toujours les certificats d'études de mes parents. Mon père avait réussi le certificat d'études. À l'époque, il y avait des mentions, et mon père avait eu mention passable. Ma mère avait eu mention très bien ! Je dois tenir d'elle. Elle avait une bibliothèque, Jules Verne de la collection Hetzel, que j'ai toujours. Et elle avait Le Comte de Monte Cristo en six volumes de la collection Nelson. J'avais dévoré ça et je le relis, j'ai dû le lire sept ou huit fois.  

 

PJ : Et qu'est-ce qui vous plaît dans Le Comte de Monte Cristo ? 

DB : Ce qui me plaît, c'est que rien n'est jamais perdu. Rien n'est jamais perdu. Et ça a toujours été, dans mon métier d'enseignant, ma ligne directrice : chez un élève, rien n'est jamais perdu. Il y a toujours quelque chose à tirer de lui, à l'enseignant d'aller voir. Je vais vous raconter une anecdote... 

J'avais un élève d'origine italienne, Giacomino. Ses parents – c'étaient dans les années 50, immigration italienne et tout – ils parlait en français difficilement. J'avais à l'époque un cours moyen. C'était un quartier quand même assez difficile. Mon Giacomino, il s'envoyait un peu partout, il n'était pas dans les têtes de classe. Mais il dessinait à merveille. Alors, j’ai passé un contrat avec lui, j'avais dit : écoute, tu dessines bien, mais en dictée, tu n'as pas de très bonnes notes. Alors chaque semaine, tu vas nous faire un dessin, ce que tu veux, et on l'affichera à la porte de l'école, avec ton nom et tout. Il en a été transformé. Et toute la semaine, il passait, il venait me montrer les esquisses. Cette semaine, je vais faire ça, monsieur. Alors, je lui disais, oui, vas-y, vas-y. On affichait, tous les parents voyaient ça. Je ne sais pas ce qu'il est devenu, mais bon.  

PJ : Non, mais vous lui avez redonné confiance en lui. Ça, c'était fondamental. 

DB : Une autre anecdote, si vous permettez. C'était l'année où j'ai eu mon cours préparatoire et j'avais un petit arabe, Hakim. Lui c'était pareil, je n’arrivais pas à lui apprendre à lire. Rien à faire, c'était très dur parce qu'à la maison tout le monde parlait arabe, et il n'avait pas fait l'école maternelle. Et puis un jour, on était dans le beau gymnase de l’école, et d'un seul coup, je le vois au plafond du gymnase, il avait grimpé à la corde lisse jusqu'au plafond. Tout le monde le regardait, tous les autres élèves le regardaient. Ils s'attendaient à ce que je pique une colère, parce qu'il pouvait tomber. Il redescend, je lui dis « tu descends tout de suite, hein ». Il arrive en bas, tout penaud… Je lui dis « t'as gagné une image ».  

PJ : Et une image c'était 10 bons points, c'est ça ?  

DB : Voilà, c'était l'époque où on distribuait des bons points, et avec 10 bons points, vous aviez droit à une image. Vous imaginez qu'Hakim, des bons points, il n'en avait jamais. Donc une image pour lui, il m'a regardé avec des yeux – je le revois, j'en ai presque les larmes aux yeux. Je le revois qui me regarde, il était beau en plus, il avait des grands cils noirs. Et son image, tous les matins, il la plaçait sur son bureau devant lui et il la regardait tellement il était fier. Ah, ce Hakim, je ne sais pas ce qu'il est devenu.  

Donc, il y a toujours quelque chose à faire. Dans l'homme, dans l'enfant, à plus forte raison. Il faut trouver le joint. Et si vous arrivez à trouver, pour l'un, ce sera peut-être la musique, pour l'un, ce sera peut-être le dessin, pour l'autre, le sport. J’ai un ancien élève qui est devenu cardiologue. On s'est revu comme ça. De quoi il se souvenait ? Du championnat de basket qu'on avait gagné. Il ne se souvenait pas des dictées ni rien du tout. Il se souvenait du championnat du Rhône de basket. Voilà, il y a toujours quelque chose. Mais il faut trouver. Même chose lorsque j'étais inspecteur chez les enseignants. 

Il y avait des enseignants qui n'étaient peut-être pas performants mais qui animaient l'école de musique, qui faisaient de l'archéologie, tout ça. Il faut valoriser tout ça, la curiosité, je n’en démords pas. 

 

PJ : Et le mot de la fin, ce serait quoi pour vous ?  

DB : Le mot de la fin, c'est la conclusion du Comte de Monte Cristo :  

« Attendre et espérer ». 

 

PJ : C'est une belle fin. Merci Monsieur Berlion pour cet entretien et pour ce témoignage précieux sur ces auteurs dont vous faites partie et qui ont fait le succès de la Maison Hachette à travers plusieurs époques. À bientôt. 

DB : Merci, au revoir. 

 

Ce podcast est disponible sur les plateformes de streaming. Retrouvez tous les épisodes ici. 

Plus de podcasts ?

Cet épisode vous a plu ? D'autres sont disponibles par ici :