La vocation d’enseignant tire souvent son origine d’une volonté de transmettre quelque chose à des jeunes en devenir. Comment inspirer et motiver les élèves pour qu’ils prennent confiance ? Comment les aider à trouver leur vocation ? Et surtout comment redonner un souffle à son enseignement lorsque l’on est pris dans les difficultés du quotidien ?
Morgane Bourges Le Goff est l’une des autrices d'un manuel de seconde bac pro, Métiers de la Relation Client, qui vient de paraître chez Hachette Education. Elle est aussi enseignante et formatrice dans l'Académie de Bordeaux depuis 15 ans. Elle a été commerciale dans les vins, les bières et les spiritueux pendant 5 ans chez un grossiste, où elle a effectué un BTS Force de vente en alternance. Puis, elle a obtenu un Master de l'enseignement, de l'éducation et de la formation. Aujourd’hui, elle enseigne les métiers de la relation client au lycée professionnel Victor Louis de Talence, en Gironde.
Ce douzième épisode est aussi disponible sur différentes plate-formes d’écoute en streaming.
Pascale Joly : Bonjour Morgane ! Tu as choisi la chanson de la chanteuse canadienne Céline Dion, « J'irai où tu iras », pour introduire cet épisode. Pour quelle raison as-tu fait ce choix ?
Morgane Bourges Le Goff : Bonjour Pascale ! Parce que c'est moi, parce que les gens qui me connaissent savent que Céline Dion, c'est ma chanteuse préférée depuis que je suis toute petite. Pour la petite histoire, à 20 ans, j'étais chanteuse dans un orchestre. J'ai travaillé pendant 5 ans, j'étais payée pour aller chanter dans des mariages, dans des bals à papa, etc. C'était mon quotidien. C'est quelque chose que j'aime toujours aujourd'hui, que je ne fais plus – mais la chanson m'accompagne dans mon quotidien. Je chante dans ma voiture, je chante dans ma douche… cette petite musique qui nous motive et qui nous donne du peps le matin pour aller travailler. Et donc moi c'est celle-ci.
PJ : Parlons un peu de ton métier d'enseignante. Tu enseignes depuis 15 ans maintenant. Qu'est-ce qui a suscité cette vocation ? Quel élève étais-tu ? Est-ce que tu peux nous raconter un petit peu ?
MBLG : En fait, enseignante pour moi, c'est une vocation. Depuis toute petite, j'ai toujours su que je voulais enseigner. Alors pas forcément la matière que j'enseigne aujourd'hui, puisque j'enseigne l'économie-gestion : au départ, je voulais être professeure d'anglais. Et c'était quelque chose qui me tenait à cœur. Mais la vie fait parfois que ce n’est pas aussi linéaire que ce que l’on pensait. J'avais un petit niveau scolaire. En cinquième, j'ai même redoublé parce que c'était trop compliqué pour moi. J'ai demandé à mes parents s'il était possible de redoubler parce que je supportais assez mal le fait d'avoir des notes moyennes tout le temps. Finalement, j'ai repris confiance en moi parce que j'avais des meilleures notes, je me rendais compte que j'étais capable tout simplement de pouvoir faire quelque chose. J'ai donc avancé petit à petit jusqu'à arriver au lycée. Je suis partie en première littéraire, puisqu'avant c'était comme ça que ça s'appelait. Je voulais faire prof d'anglais : première littéraire, c'était le chemin le plus classique pour pouvoir y arriver. Finalement, je me suis rendue compte que j'étais peut-être bonne en anglais, mais pas forcément pour le reste : c'était compliqué. Alors je me suis réorientée et je suis partie en première STT, donc l'équi-valent aujourd'hui de la première STMG, sur de l'éco-gestion. Je re-double et je mets un peu une croix sur ma vocation d'enseignante. Mais je discute avec une enseignante, qui me dit : ton vœu n'est pas fichu, tu peux toujours devenir enseignante. Certes pas prof d'anglais, mais tu peux enseigner le métier que tu fais en tant que commerciale – puisque c'était ce vers quoi je me destinais. Elle m'a expliqué qu’un bac et plus de 5 ans d'expérience, c'étaient les conditions d'accès au concours (il y a une quinzaine d'années maintenant). Elle m'a dit : c'est bon, tu pourras postuler ! Eh bien je me suis dit ok banco, je vais faire ça.
PJ : Donc c'est cette personne qui t'a redonné confiance ?
MBLG : Totalement. Parce que la vie est faite de rencontres et parfois nous recevons des conseils, des gens nous donnent des pistes de réflexion. Et celle-ci pour moi, elle a tout changé en fait. Du coup, je me suis dit, très bien, je vais faire un bac+2. Je vais aller chercher mes cinq ans d'expérience. Et c'est ce que j'ai fait, parce que quand j'ai eu mon BTS, je suis rentrée en alternance chez un grossiste et je leur ai dit, dans cinq ans, je pars. Et cinq ans après, j'ai pris rendez-vous avec mon patron et je suis partie.
PJ : Qu’as-tu le plus à cœur de transmettre à tes élèves aujourd'hui à travers ton enseignement ? Deux ou trois mots clés à leur donner pour les guider dans la vie…
MBLG : La confiance déjà, parce que nous, souvent, en lycée professionnel, on récupère des élèves qui sont un peu – parfois – cassés dans leur scolarité et qui ne croient plus en eux. Et donc cette confiance-là, c'est un des rôles du lycée professionnel qui me tient à cœur : c'est qu'entre la seconde et la terminale, donc les trois ans pendant lesquels on les accompagne, qu'ils arrivent à comprendre que, oui... peut-être qu'ils ont eu des mauvaises notes jusque-là, mais ils sont capables et ils sont compétents dans plein de choses. Donc, oui, ce serait leur redonner confiance. Et après, leur expliquer peut-être aussi que la vie, elle n'est pas toute tracée, que dans sa vie, on a plusieurs métiers, on a plusieurs carrières et que moi, ce que je veux, c'est qu'ils soient heureux.
J'ai le cas d'une élève à moi avec qui je discute encore aujourd'hui, que j'ai eu il y a 15 ans, qui a passé un bac pro commerce en ce temps-là. Aujourd’hui, elle travaille dans la boucherie, elle est meilleure ouvrier de France. Après son bac pro commerce, elle a passé un CAP boucher en un an. Et maintenant, c'est une jeune femme épanouie qui est maman, qui a sa vie de famille et qui n'a pas forcément fait le métier pour lequel elle était formée à la base. Mais l'un et l'autre est un peu relié parce qu'en boucherie aussi, il y a des calculs commerciaux, il y a de la vente, il y a la mise en avant des produits. Donc, en fait, elle réutilise certaines compétences. C'est amusant parce qu'en fait je me dis, ben oui, elle a pris confiance, elle a été capable d'aller vers d'autres choses. Et si je peux réussir à donner ça aux élèves, pour moi c'est gagné. Peu importe ce qu'ils font après en fait.
PJ : Quelles pratiques pédagogiques mets-tu en place dans ta classe avec tes élèves ? Est-ce que tu as des exemples ?
MBLG : Après, cela fait 15 ans que j'enseigne, au bout d'un moment on se lasse un peu aussi. Souvent je discute avec les gens que je forme, avec les collègues que je forme, avec mes propres collègues, sur nos pratiques pédagogiques. Et là, on est un peu à un tournant, on se rend compte que les générations, nos élèves changent, ont des attentes différentes. Ils zappent souvent, et donc on sent que c'est compliqué aussi pour capter leur attention. En ce moment, je suis justement en pleine remise en question de mes pratiques pédagogiques. Je lis beaucoup sur la classe autonome, la classe flexible, les plans de travail, les feuilles de route, toutes ces nouvelles techniques qui peuvent nous permettre d'accrocher nos élèves différemment. Et donc, là actuellement, j'ai la chance d'avoir pu créer une classe flexible dans mon lycée. C'est un aménagement de la classe avec des zones pour permettre aux élèves de travailler différemment. Et puis on utilise aussi le plan de travail avec toute une liste de tâches qui sont données aux élèves pour leur permettre en tout cas d'avancer à leur rythme et d'essayer de gérer au mieux l'hétérogénéité. Parce qu'on a des classes, des élèves qui ont des besoins totalement différents, et c'est une des solutions. Ce n’est pas une solution miracle, jamais je ne dirais ça. Mais en tout cas, je pense qu'avec l'équipe avec qui je travaille, on a le mérite d'essayer des choses pour pouvoir accrocher cette nouvelle génération.
PJ : Est-ce que ça marche avec tes élèves, cette classe flexible, ce nouvel aménagement ?
MBLG : Oui. Pas avec tous, parce que forcément, je pense qu'avec l'âge, j'ai aussi appris à comprendre que si j'amène le plus d'élèves le plus loin possible, je n'amène pas tous les élèves au même stade. C'est une grande question de philosophie que nous n’aborderons pas aujourd'hui. Mais en tout cas, ça a redonné du sens parce que les élèves prennent du plaisir. On prend beaucoup le temps de parler du bien-être au travail. Le bien-être à l'école aussi en fait partie. Et on sent que les élèves, ils réclament la classe flexible, par exemple. Ils demandent à travailler différemment. Ça c'est déjà une victoire. Et cela permet d’éviter la lassitude, parce qu'ils n’y sont pas tout le temps. Et dans la même journée, ils vont changer de pratique avec des collègues. Parfois ils seront dans la classe flexible, parfois ils n'y seront pas. Mais l'idée c'est de rythmer cette journée.
PJ : Tu es l'autrice du consommable Famille des métiers de la relation client en seconde bac pro, qui vient de paraître chez Hachette Éducation. Alors tu n'es pas toute seule, tu as une équipe, c'est toute une équipe qui a conçu ce manuel. Quel sens avez-vous donné à ce projet ?
MBLG : En effet, je ne suis pas toute seule, je tiens à le préciser, j'ai toute une belle équipe de co-auteurs avec moi de différentes académies. Cela a donné une richesse dans la création de ce manuel, puisqu'on sait tous qu'enseigner à Bordeaux, à Toulouse, Lille ou Strasbourg ne confère pas forcément les mêmes contraintes, et c'est important de le dire.
À l'origine, c'est un brainstorming, c'est une réunion, on se pose des questions, on partage nos difficultés actuelles. Et on s'est dit, il faut qu'on arrive à proposer quelque chose qui colle aux demandes institutionnelles, donc avec des scénarios, avec un enseignement spiralaire pour revoir plusieurs fois les mêmes compétences, ne pas être un professeur de bloc, puisque nous, en lycée professionnel, on a des blocs 1, 2, 3 dans nos référentiels. Donc on a essayé de mixer ces compétences, de proposer des scénarios et petite nouveauté, de proposer un plan de travail pour justement essayer d'aider les collègues à mettre en place un enseigne-peut-être un peu plus autonome. Alors c'est sûr, en seconde ce sont encore des « petits » entre guillemets mais en tout cas, pour les aider à devenir autonome, c'était vraiment ce qui nous tenait à cœur.
PJ : Qu’est-ce que c’est ce plan de travail?
MBLG : C'est toute une liste de missions qui sont proposées, mais on a pris le soin de beaucoup détailler les consignes. C'est-à-dire que 1, je lis le document, 2, je vais relever les informations, 3, je remplis l'annexe, par exemple. On fait en sorte de guider l'élève pour qu'à terme, il arrive à maîtriser un mode d'emploi, un process de travail. C’est pour pouvoir les rendre autonomes. Et ça permet aussi à des élèves d'avancer plus vite, parce qu'on s'est rendus compte que dans une classe de 30, il y a des gamins qui avancent bien, et parfois on a tendance à les freiner parce qu'on est obligé d'attendre ceux qui ont plus de difficultés. C'est frustrant d'un côté et c'est démotivant de l'autre parce qu'on voit qu'il y en a qui avancent et d'autres qui sont un peu plus en retard. Avec ce système de fonctionnement, on pourrait très bien dire : il y a quatre missions, et sur ces quatre missions, puisque les compétences vont être revues plusieurs fois dans le manuel, s'il y en a une qui n'est pas faite par un élève, ce n’est pas grave. Et s'il y a un autre élève qui lui avance plus vite, il peut y aller, parce qu'on a fait des petits chapitres vers le bac, enfin des choses qui vont un peu plus loin. L’objectif, c’est de faire avancer tous les élèves, pas au même niveau, mais au moins les faire avancer quand même.
PJ : Et qu'est-ce que tu dirais aux enseignants qui ne connaissent pas cette démarche et qui voudraient s'y mettre ? Comment leur dirais-tu de commencer ?
MBLG : En formation, on dit souvent : il faut commencer petit. Et je pense que ça, c'est important. Aujourd'hui, je parle avec du recul, avec un peu de temps de mise en œuvre. Moi, ce que je conseille à tous les novices – entre guillemets, parce qu'en fait, il y a plein d'anciens collègues comme moi qui ont des années d'ancienneté et qui ont du mal aussi – je pense qu'il faut essayer, prendre le risque, entre guillemets, d'essayer. Ça ne marchera peut-être pas du premier coup, mais ça fait du bien. Ça fait du bien de tester de nouvelles choses. Et puis peut-être échanger avec les collègues en disant tiens, j'ai essayé ça, ça n'a pas tout à fait marché, et puis réajuster. On sait tous qu'en fonction des classes que l'on a, en fonction des moments de la journée que l'on peut avoir, il y a des choses qui matchent et des choses qui ne matchent pas, comme actuellement d'ailleurs dans nos cours classiques que l'on peut faire. Et donc pour moi, c'est juste tenter. On a souvent peur d'aller vers l'inconnu parce qu'on est un peu bloqué et qu'on n'a pas le temps. Je le dis très honnêtement, on est pris avec de nombreuses réformes, de nombreuses contraintes. Mais... ça redonne du souffle et à nos classes et à nous. C'est à tenter, vraiment. Commencer petit pour au fur et à mesure essayer peut-être deux plans de travail dans l'année. L'année d'après tu réessaies un peu plus. Mais je pense – et ça c'est hyper important, je le dis souvent en formation – que la bienveillance, on la demande pour nos élèves, mais il faut qu'on l'ait pour nous aussi. Pour nous aussi enseignants.
PJ : Pour conclure Morgane, je t'ai demandé de choisir un livre. Bon… ton livre préféré du moment, on va dire. Alors, quel livre as-tu choisi ?
MBLG : J'ai choisi Mon prof, ce héros, aux Presses de la Cité. C'est un livre qui a été écrit en hommage à Samuel Paty. C'est un recueil de témoignages sur des enseignants qui ont marqué la vie de formateurs, d'enseignants. Et j'aurais... En fait, je pense que j'aimerais un jour pouvoir dire... que j'ai marqué des élèves comme j'ai des enseignants qui ont pu marquer ma propre carrière. C'est quelque chose qui me tient à cœur parce que je n'aurais pas marqué tout le monde, ça, c'est sûr, mais si au bout de x années de carrière j'ai pu aider deux élèves par an, rien que ça je me dis que mon rôle est d'utilité publique. Parce qu'on est vraiment là, on forme ces nouvelles générations, je me dis que j'aurais gagné, rien que ça c'est important. Et ce livre, il est touchant parce que justement on se reconnaît à la lecture. Dans nos moments de vie qui sont difficiles, où à un moment, il y a un prof qui te tend la main, qui te dit, bah ouais, mais tu verras, c'est possible. Et rien que d'avoir quelqu'un qui croit en soi, à un moment ou à un autre, ça peut nous aider à continuer.
PJ : Morgane, je te remercie véritablement pour cet entretien riche et dynamique qui, je l'espère, donnera un nouveau souffle à toi, à tes collègues et des idées de pratiques nouvelles.
MBLG : Je le souhaite aussi, aux enseignants. Merci beaucoup !
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