Ouvrir la porte du CDI : Isabelle Harbonnier-Valdher

Lancement: mars 2022
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Ce quatrième épisode du podcast Vocation : auteur vous emmène à la rencontre d’Isabelle Harbonnier-Valdher, professeure documentaliste et co-auteure dans la collection de Français Mission Plumes. Elle raconte son amour pour la littérature jeunesse et comment faire découvrir la lecture à ses élèves.

Présenté par Pascale Joly, déléguée pédagogique Hachette Education
Langue : français (France)
Fréquence : un épisode tous les deux mois

La littérature jeunesse n’a jamais été aussi foisonnante. Pourtant, initier les élèves à la lecture peut parfois représenter un défi. Comment les accompagner dans la découverte du livre, et développer leur goût pour ce média ? Comment leur faire ouvrir la porte du CDI ?

Isabelle Harbonnier-Valdher est professeur documentaliste au collège René Cassin, à Loos-en-Gohelle dans le Pas-de-Calais. Elle est aussi formatrice en littérature jeunesse pour l’académie de Lille et auteure du blog de lecture et de coups de cœur Petites Madeleines. Animée par une volonté de partage, elle a participé en tant que co-auteure à la nouvelle collection de Français Collège Mission Plumes.  Au cours de son entretien avec Pascale Joly pour le podcast Vocation : auteur, elle nous parle avec passion de son métier et de ses stratégies pour donner aux élèves l’envie de lire.

Le quatrième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.

Pascale Joly : Nous venons d'écouter Hedwig’s Theme (John Williams, ℗ 2001 Warner Records Inc.), le générique du premier film d'Harry Potter, pour introduire ce podcast. Pourquoi as-tu choisi cet extrait ?

Isabelle Harbonnier-Valdher : J'imagine que beaucoup d'auditeurs et d'auditrices l'auront peut-être reconnu. Cet extrait, pour moi c'est symbolique, c'est à la fois personnel et professionnel : c'est personnel parce que j'étais une lectrice d'Harry Potter - quand j'étais grande ado, jeune adulte... Cela m'a accompagné en fait, cela fait partie de mes livres piliers. Je le lisais même en anglais, je me suis mise à améliorer mon anglais pour pouvoir le lire quand la suite sortait, car elle sortait plus vite en anglais qu'en français... c'est vraiment un souvenir personnel. Plus professionnellement, c'est tout de même un grand bouleversement dans la publication éditoriale en littérature jeunesse. C'est ce qui a abattu les barrières avec la littérature adulte. C'est ce qui a permis de revendiquer un amour pour la littérature jeunesse. Et avec mes élèves, c'est aussi symbolique puisque c'est notre thème déclencheur pour nos quarts d'heure de lecture. On l’a fait il n’y a pas longtemps d’ailleurs. Ces petites notes de musique pour mes élèves, ça veut dire : vous fermez tout, vous sortez vos livres, on va lire !

PJ : Parfait. Parlons un peu de ton métier qui est celui de professeure documentaliste. Tu enseignes depuis 16 ans et j'ai envie de te demander : qu'est-ce qui a suscité cette vocation ?

IHV : La vocation d'enseignante ? En fait, il faut savoir que je viens d'une famille d’enseignants. J'ai un peu lutté au départ, et puis finalement je m'y suis retrouvée. Mais c'est le livre en fait, qui m'a amenée à ce métier. J'ai une formation littéraire, j'ai préparé l'agrégation de lettres aussi, mais j'avais toujours en moi cet appel de la littérature jeunesse. C'était ma passion, mon univers, j'avais envie d'en faire mon métier. J'avais envie de transmettre, j'avais envie de faire ressentir les mêmes émotions que celles que moi je ressentais – de faire toucher du doigt le même émerveillement. Et donc ce métier de professeure documentaliste est lié à des rencontres, j'en ai eu l’envie et je ne regrette pas un seul jour d'avoir choisi ce métier-là. C'est vraiment pour moi une passion rendue quotidienne, à la fois dans mon métier de professeure documentaliste, dans ma posture de formatrice pour l'académie de Lille et enfin dans le fait d'être à la croisée des métiers en littérature jeunesse. 

PJ : Quelle pédagogie mets-tu en place dans ton centre de documentation avec tes élèves pour leur donner l'envie de lire ? 

IHV : La pédagogie n'existe pas vraiment pour moi... c’est la pédagogie de la porte ouverte ! Laisser la porte ouverte, c’est rendre possible - en ce moment par exemple, la fréquentation de mon CDI est thermo fluctuante : s'il fait froid dehors, s'il pleut dehors, j'ai plus d’élèves. C'est pour cela que je regarde la météo, je ne manque pas une seule occasion de leur faire rencontrer non simplement les livres, mais aussi des expositions, des concours... On présente des réalisations qui ont été faites dans d'autres cours, on met en avant des projets, on parle des expositions. Mon établissement scolaire n’est pas loin du Louvre Lens, alors on met des affiches. Les élèves tombent dessus par hasard – et cela va peut-être déclencher de la curiosité. C'est cette pédagogie de les accompagner, de rendre possible la curiosité et la rencontre avec le livre. Et le livre, il est partout. Le livre n'est pas super bien rangé sur les étagères - parce que des étagères très très bien rangées, d'abord, ça me prendrait énormément de temps et je ne suis pas très douée pour le rangement, mais en plus ce serait trop impressionnant. L'idée est donc de rendre le lieu chaleureux, c'est leur lieu. Les élèves participent aussi à l'aménagement, à la création, aux améliorations du CDI, c'est un lieu d'accueil pour tous, élèves comme adultes. Ils croisent aussi au CDI des personnels de l'éducation, des agents de service... c'est un lieu pour tous. D'ailleurs ce n’est pas mon CDI mais notre CDI – ça a été long, ce n’est pas facile à changer comme posture.

PJ : Quelles sont les tendances actuelles à ton avis ? Les tendances d’envies de lecture pour des collégiens ?

IHV : On l'a beaucoup entendu dans les médias avec le Pass culture : le manga. Et en effet, lorsqu’on a regardé nos statistiques et autres bilans de près - les top lectures, les meilleurs emprunteurs... - ce sont toujours des mangas. Quand on a les moyens d'en avoir et de les garder bien sûr, ce n'est pas possible partout, c'est aussi une question de budget. Mais effectivement les mangas font venir les élèves. Après, moi je suis persuadée - et j'ai beaucoup de collègues qui le sont aussi – que les mangas, c'est de la lecture ! C'est important, les mangas permettent une entrée dans la lecture, il y a des mangas de toutes qualités et il ne faut absolument pas passer à côté - et cela importe de nous former, d’avoir cette curiosité-là. Les mangas sont des lectures, et ce sont aussi des belles portes d'entrée vers d'autres types de lecture. Ainsi, à un élève qui aime un certain type de manga, on peut faire des propositions, essayer de glisser discrètement vers un autre roman qui parle de la même thématique, vers une version novellisée du manga – et les éditeurs le savent très bien donc ils produisent, on a de quoi faire ! On peut les faire sortir un petit peu de ce qui peut être vu comme leur zone de confort, leurs habitudes de lecteur. Souvent, un lecteur de manga - mais pas tout le temps, il ne faut pas mettre des étiquettes - est assez monomaniaque des mangas. Alors on veut les mener à d'autres choses. 

Je constate aussi, et je pense que c'est assez général, les envies de retrouver des univers qu’ils lisent, qu'ils visionnent ou auxquels ils jouent. C'est à dire que mes élèves viennent en disant, : “Madame, j'ai joué à tel jeu vidéo, j'ai regardé telle série... est-ce qu'on a le livre ?” Etc. Ils ont commencé à comprendre que beaucoup de sorties sur grand ou petit écran et sur les plateformes sont issues de livres, que tous ces scénarios, toutes ces belles idées, viennent de livres. Il fallait voir la tête de mes élèves quand je leur ai annoncé que moi, j'avais la suite d'Enola Holmes puisqu'on avait déjà les livres !

PJ : Ils devaient être heureux !

IHV : Cela génère un sentiment d'exclusivité extraordinaire. Ainsi, mon travail consiste à suivre leurs goûts en matière d'émotions. Et le pluri-média ; lorsqu’il y a eu le succès d'Arsène Lupin, les bibliothécaires, les professeurs documentalistes de France, nous avons tous ressorti nos vieilles éditions. On ne passe pas à côté d’une telle occasion, on accompagne, on suit ce qu’aiment les élèves. Ils nous font découvrir énormément de choses ! Souvent, quand on n'arrive pas à trouver des choses qui leur plaisent en littérature, on leur demande : qu'est-ce que tu recherches quand tu vois un film ? Qu'est-ce que tu aimes ressentir comme émotion ? Je vais essayer de retrouver les mêmes émotions, les mêmes thématiques, dans les lectures que je vais te proposer. C’est l’une des portes possibles.

PJ : Bien sûr. Et tu es l'une des auteurs de la nouvelle collection de français Missions Plumes, parue chez Hachette Education. Comment se situe encore l'envie de lire dans Mission Plumes – quelle a été ta part dans cette collection ? 

IHB : Dans l'équipe des auteurs et autrices de Missions Plumes - parce que nous sommes assez nombreux et ça c'est assez chouette - moi, j'ai participé par exemple aux Ateliers de rentrée. Ces Ateliers sont en début de manuel et peuvent servir de déclencheur en début d'année scolaire. Ils ont été fabriqués autour de la découverte du portrait de lecteur : quel lecteur, quelle lectrice je suis ? c'est un outil extraordinaire - après bien sûr les collègues adaptent, en fonction de leurs élèves, leurs moyens, leurs besoins, leurs établissements, chacun fait avec son terrain – car l'idée, c'est de faire comprendre à tous les élèves que oui, ils sont lecteurs. Parce que si la question leur est posée, la réponse sera “Non, moi je ne lis pas, ça ne m'intéresse pas, je passe à autre chose.” Mais si, tu es un lecteur, tu es une lectrice et ensemble on va découvrir ce que tu es, ce que tu aimes, ce que tu pourrais découvrir, comment tu vas progresser, comment ça va évoluer... à la fin d'année tu verras, tu n’auras pas la même posture en tant que lecteur/lectrice. C'est ce que j'appelle le parcours de lecteur et qu'on essaye de construire avec une progression aussi de la 6e à la 3e. 

L’objectif que nous essayons de viser est qu'en sortant du Collège, chacun(e) puisse se connaître en tant que lecteur : voilà ce que j'aime, voilà ce que je n’aime pas... et j'ai essayé au moins. Leur faire comprendre que c'est comme pour la nourriture : les livres, tu ne peux pas dire que tu n'aimes pas, si tu n'as pas goûté ! Tu auras le droit, ensuite, si tu as par exemple testé un roman de science-fiction – et que tu as vraiment essayé - de nous dire pourquoi tu n’as pas aimé. C'est tout aussi intéressant d'expliquer les raisons qui font qu’une lecture n'a pas été appréciée que celles d’une lecture qu'on a aimée. Mais si tu n'as pas essayé, tu ne peux pas savoir. Et moi la première, je dis à mes élèves, par exemple, que je n'aime pas trop les romans policiers, ce n’est pas mon genre de livre. Mais j'essaye - et d'ailleurs je suis régulièrement surprise, donc je sors aussi de ma zone de confort. C'est pareil pour les élèves : dans le programme, en français, dans ce qu'on doit leur transmettre au collège, on les accompagne face aux lectures résistantes, mais aussi face à tous les genres. Et l'objectif, c'est : tu as essayé, tu te connais, tu comprends, tu as réfléchi à ton rapport à la lecture, ton rapport à l'objet livre – parce que le rapport à l'objet, parfois ça se déconstruit en fait – et le rapport à la lecture aussi. J'ai encore des élèves qui arrivent et qui n'ont eu d'occasion de lecture que des textes prescrits, des lectures intégrales qu'ils n'avaient pas forcément choisies, qui sont souvent très intéressantes et assez passionnantes bien sûr - les collègues font des choix super - mais qui sont parfois imposées, par un programme. J'ai des élèves qui n'ont lu que ça - et là, c'est la soupe à la grimace, il faut vraiment essayer de déconstruire, d'accompagner. Les petites victoires, c’est quand un élève dit : “Finalement, ce n’était pas si mal ça”.

PJ : Dans la collection, tu t'es également occupée des pages “À vos marque-pages !” et ça recoupe avec l'analogie à l'alimentation puisque tu parles de petit appétit et de gros appétit de lecture.

IHV : Est-ce qu'on ressent du coup que je suis une gourmande peut-être ? [rires] Mais c'est assez parlant en fait. Nous souhaitions surtout éviter de coller des étiquettes “petit lecteur” ou “grand lecteur”, parce qu'un élève étiqueté “petit lecteur” ne va pas du tout se sentir encouragé à essayer. Et l'inverse est vrai aussi, un grand lecteur à qui on propose un genre qui ne va pas lui plaire ne va pas se laisser tenter. “Petit appétit” et “grand appétit” montre le côté fluctuant de la lecture aussi : tu as le droit, à un certain moment, parce que la vie est faite comme ça, d’être plus ou moins disposé, d’avoir peu ou beaucoup d’appétit. Le rapport à la lecture est fluctuant et ainsi ce niveau d’appétit correspond à un jour, une thématique, une double page du manuel, un thème avec lequel l’élève n’aura pas forcément d’atomes crochus. Mais au chapitre suivant, l’élève aura peut-être plus envie ! Donc c’est laissé ouvert. 

"À vos marque-pages", c'est une double page présentant une sélection de livres, souvent de la littérature jeunesse contemporaine francophone, qui vient ouvrir un chapitre et qui donc propose des lectures en lien avec la thématique mise en avant. Et cela permet des découvertes. 

PJ : Cette volonté de liberté, d’ouverture est ce qui revient le plus souvent. Qu’as-tu, au bout du compte, le plus à cœur de transmettre à tes élèves ? Tu nous as déjà dit beaucoup de choses, mais quelle empreinte souhaiterais-tu leur laisser finalement pour les guider dans la vie ?

IHV : Je pense qu’il faut rester humble et garder à l’esprit que notre impact n’est pas forcément non plus révolutionnaire, mais pour moi ce serait les encourager à essayer. C'est aussi un peu une pédagogie de l'erreur. En lecture, cela signifie se faire parfois avoir par une couverture, par des commentaires positifs – mais ce n’est pas parce que tout le monde aime un livre qu'on va l’aimer. Je veux leur dire qu’à un moment, on peut essayer de rencontrer un livre et cela ne fonctionnera pas, mais peut être que plus tard, ce même livre nous parlera. Essayer, parce qu’on ne risque rien. Et puis oser aussi, ce qui n’est pas évident au collège. Oser avoir son propre avis face au groupe, etc.

PJ : Oui, c’est relié à l’estime de soi aussi.

IHV : Exactement. J'ai longtemps fait ce qu'on appelle de l'AP estime de soi. Je le retrouve actuellement quand je fais de la remédiation en fluence de lecture : les sixièmes font souvent ces tests de fluence au début de l'année nous avons voulu faire quelque chose de ces résultats. Donc je reprends en petits groupes les élèves qui ont été en quelque sorte repérés en difficulté par les collègues de français - et souvent, il y a un rapport à l'oral aussi derrière qui est problématique - et on retravaille la même chose, c'est à dire le rapport au livre, le rapport à l'oral, le rapport à sa propre voix, savoir revendiquer ce qu'on aime, ce qu'on n’aime pas. Reconstruire une familiarité avec les mots, avec la langue, avec la lecture, s'amuser. Ne pas avoir peur de se tromper, ne pas craindre d'avoir une opinion différente... Ce n'est pas facile, mais on voit des progressions. C'est cela qui est fantastique, mes élèves me surprennent tous les jours ! C'est cela que je cherche à faire : essayer de les accompagner, laisser toujours ouverte la porte pour la curiosité et puis leur expliquer que c'est possible.

PJ : Nous allons terminer ce podcast par une question un petit peu plus personnelle, quel est ton livre préféré s'il n'y en avait qu'un ? Et pour quelle raison ?

IHV : Je trouve que c'est très compliqué comme question – mais en fait j'ai de la chance parce qu‘un un collègue me l'a posée il n’y a pas longtemps en formation... J'ai donc dû m'y pencher sérieusement et finalement, je me suis rendu compte que le livre qui me tenait le plus à cœur était celui pour lequel j'avais du mal à accepter que les gens à qui je le recommande ne l'aiment pas. Il s'agit donc du Passeur de Lois Lowry, qui a été publié à l'Ecole des Loisirs en 1993. Il n'est pas récent, et en plus, c'était à l'époque où les couvertures de l’Ecole des Loisirs n’étaient... pas formidables, pas très créatives. Il a été ressorti depuis, il y a même eu une version en film qui a été réalisée. Ce livre, c'est une dystopie, c'est un futur d'une société sans heurt, sans problème, uniforme.... Sans souci mais aussi sans émotion, sans mémoire, sans curiosité. Ce livre, je le recommande aussi bien aux élèves qu’aux adultes, il représente pour moi la littérature jeunesse, c'est ma posture de professeure documentaliste, c'est-ce que les élèves et les adultes ont construit ensemble. Ce livre, c'est un petit peu la métaphore de ma posture pédagogique, c'est le passeur.

PJ : L'idée du passeur ou plutôt de la Passeuse !

IHV : Oui, en tout cas, j'essaye.

PJ : Eh bien vraiment je te remercie pour cet entretien et je te souhaite de continuer à passer les émotions et plus encore à travers les livres, ce que tu feras, j’en suis sûre. Je te remercie également pour ton enthousiasme, merci à toi, merci beaucoup. À très bientôt Isabelle, au revoir.

 

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